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  • : Le blog de jeanpierrevaissaire
  • : écriture - méditation - humanité - Loire - aventure - chauffage solaire - recherche intérieure -
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  • jeanpierrevaissaire
  • Cambrioleur à 12ans, maçon à 17, marchand de crêpes, éleveur de volailles, méditant dans les Alpes, Artisan-menuisier, Rebirth-thérapeute, sa vie libre est une succession de fugues. Il échappe ainsi à l'armée, au mariage, à la télévision
  • Cambrioleur à 12ans, maçon à 17, marchand de crêpes, éleveur de volailles, méditant dans les Alpes, Artisan-menuisier, Rebirth-thérapeute, sa vie libre est une succession de fugues. Il échappe ainsi à l'armée, au mariage, à la télévision

Traduction en anglais http://fp.reverso.net/jeanpierrevaissaire-over-blog/5174/en/index.html

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25 août 2011 4 25 /08 /août /2011 15:21

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Fugue en Loire mineure

 

 

 

 

 

 

 

 

pour un kayak solo et deux pagaies

 

 

 

 

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Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes.

Rosa Luxembourg


Nous avons tous besoin de danse et de rupture, de silence et d’absence,  nous avons tous besoin d’une échappée soudaine, d’un bain frais, de jouissance sans lendemain, d’une vie sans engagement ni promesse, de désordre, de vacances sans commencement ni fin.

Catherine Clément

 

 

 

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Longtemps avant le départ 

Tout commence dans l’Issole, une petite rivière qui coule non loin de chez moi.

L’Issole aime tellement la vie qu’elle la parcourt en pointillés : la monotonie ne lui sied guère, elle coule comme vont les saisons, comme cheminent les amours : trop, trop peu. Rarement sage, elle déborde ou se tarit, exagère ou disparait, comble les attentes ou les désespère.

Elle est simple et belle, et d’envergure modeste : l’orgueil n’a rien à voir avec la taille.

Un été qu’elle coulait encore, j’allais me laver dans son eau chaque soir. Je travaillais alors sur un chantier, j’avais transpiré tout le jour et étais couvert de poussière.  Sans même penser à lui demander pardon je m’immergeais dans l’onde fraîche, au creux d’une petite piscine naturelle  au fond couvert de galets,  où je pouvais juste m’allonger. Des poissons et de petits serpents verts me regardaient me récurer, nullement dérangés par ma présence.  Je laissais mon savon, d’un jour à l’autre, dans un creux de la pierre.

Une rivière, un homme nu.

Image des premiers jours. Chacun de nous à la recherche du premier jour, ignorons en général  qu’il nous est offert chaque matin.

Un soir que j’arrivais, serviette sur l’épaule, je vis que le niveau avait  monté dans la nuit. Ma petite piscine était inaccessible, sous un demi-mètre d’eau tumultueuse, mon savon emporté par le flot. L’été touchait à sa fin.

L’homme, la rivière. De tout temps il a posé son campement près des cours d’eau. Quand il a voulu tanner les peaux,  irriguer ses champs,  bâtir des villes,  refroidir ses centrales nucléaires. Un peu de gratitude ne nous coûterait rien.

 

 

(à dire vrai, il conviendrait de dire un mot, loin avant l’Issole, des eaux maternelles. Là aussi ça tangue, ça bouge, ça berce, ça flotte, ça porte et transporte, ça irrigue et nourrit. Là aussi ça chante et murmure, ça endort et ça éveille. Et en plus, pas besoin de bateau ni pagaies, de bagage ni calendrier : ça dure l’éternité. Et peut-être bien que mon aventure ligérienne d’aujourd’hui  commence vraiment  là ?)  (- ligérienne : qui se rapporte à la Loire) 

 

                                                                                                                                            

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La Loire peu après sa source

 

Et d’abord :  pourquoi ?

La question me fut posée souvent  -  Qu’est-ce qui vous amène à entreprendre la descente de la Loire ?  -  Pourquoi cette aventure ?  -  Pourquoi en kayak ?  - Pourquoi la Loire ?  -  Pourquoi maintenant ?   (et, pour ceux qui ont le plus d’humour, l’inévitable :   -  mais  pourquoi  ne prenez-vous pas le train ?)

Ben :   parce que.

Parce que tout ce que vous voulez,   -  parce que c’est ainsi,  -   parce que le soleil se lève tous les matins,  -   parce que je ne veux pas mourir idiot,  -   parce que l’eau,  -   parce que le ciel aussi,  -      parce que c’est elle, la Loire, et moi,  -   que sais-je moi, c’est la vie,  voilà !

… parce qu’ aussi,  il faut savoir honorer ses anges-démons intérieurs, et qu’au fond de mon théâtre personnel il en est un qui me souffle cette envie depuis quelques années, et que, comme le dit Christiane Singer  « il n’est que l’expérience menée à terme qui libère ».

Je sais aussi que l’aventure, si modeste soit-elle, ne nous rend pas différent :  croire que je vais revenir de ce périple différent de ce que je suis en partant est une ineptie : la péripétie, si elle est acceptée, ne nous modifie pas, elle fait tout le contraire, c’est-à-dire qu’elle nous rend, avant tout, identique à nous-même. Plus proche de moi-même  que je ne suis aujourd’hui, c'est-à-dire plus fidèle au grand moi que je suis, caché derrière le petit que je crois être. Et ça, ça m’intéresse.  Tenter d’oublier, disait la même Christiane Singer sus citée, les deux ou trois choses que je sais de moi.    

 Dérisoire ?    Fascinant.

  Le « pourquoi » n’a pas de fin, il reviendra, je lui fais confiance !

 

 

Avant le départ 

Depuis des années j’entends dire que la Loire est un fleuve dangereux, périlleux, totalement innavigable, qu’on s’y noie régulièrement, - et pas forcément pour s’y suicider – à cause des tourbillons, des sables mouvants, des différences brutales de hauteur de fond, des écueils divers, des crues soudaines et incontrôlables . . . l’homme est un être de légende. J’en prends, j’en laisse.

Cette année la Loire est, me dit-on, dans ses basses eaux, (d’où le titre de Loire mineure). Moins de courant, plus de récifs. 

A prendre ou à laisser.

 

 

 

Le véritable héros de l’aventure :

 

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Kayak « Trinidad » (Bic), 360 x 83 cm, 30 kg, 2 places, auto-videur et  insubmersible.

Alias Frèleskif, alias Pen Duick , selon les instants

 

 

 

 

 

 

Ajouter : un bidon étanche, un gros sac de voyage (presque) étanche, une guitoune, une réserve d’eau et quelques victuailles, un bouquin et un carnet de notes.

Le héros sus nommé, tout de polyéthylène certifié, aura fait face à  tous les écueils, les rochers, les rapides, les épieux et même les rencontres avec de nombreux poissons dérangés dans leur aquatique et tranquille sérénité, avec honneur, rigueur et souvent bonheur. En témoignent  néanmoins, on n’a rien sans rien, de longues griffures, éraflures, égratignures, blessures  parfois profondes, dans la belle peau grise de son ventre. Je déconseille les gonflables !     

 

 

                          

 

 

 

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                           Le Capitaine du Héros (autoportrait 2011, pixels sur écran,  130 x 105 mm)

 

 

 

 

 

  

 

 

Le symbole

Joindre la source à l’estuaire.

On a tous besoin de se raconter des histoires.

Relier le ciel et la terre, l’orient et l’occident, le haut et le bas.

Sinon ? Sinon on vivote  mou, dans ses habitudes et ses pantoufles qui s’usent un peu chaque année. Alors à chacun de s’inventer ses histoires, de mettre des mots sur le quotidien pour lui donner un sens et  se dire pourquoi il vit.

Pour moi rejoindre la source à la mer c’est me relier à la source de toute chose, de moi-même et de tout ce qui m’entoure. Rien que ça petit homme ? T’as pas peur ! (si justement.  J’en parlerai plus loin…) Alors pas question de ne pas partir du Gerbier de Jonc, et pas question d’arrêter avant que le sel de l’Océan ne touche l’étrave de mon youyou de plastique.

Un autre facteur, aussi, m’oblige à rejoindre la mer : ado j’ai « fait » une école de voile à la presqu’île de Préfailles, le coin de Tabarly, sur Caravelle et Vaurien. Alors bien sûr mon périple ne peut que se terminer là-bas.

 

Révolution :  mouvement orbital d’un corps céleste (boucle) qui le fait repasser  par son point de départ. L’estuaire rejoint la source, je ne comprends pas bien comment, alors je pagaie.

 

(j’ai oui dire que d’autres pagayeurs, sur le même fleuve, se sont arrêtés à Nantes. Eh bien , sans les disqualifier en rien, et avec tout le respect que je leur dois justement :  je trouve ça . . . désolant !  quitte-t-on le repas avant le dessert ? la messe avant la communion ? le spectacle avant les applaudissements ? s’arrête-t-on de chanter trois mesures avant le point d’orgue final ?  -  bon, je l’ai dit :  à chacun son histoire !)

 

 


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  Entre source et estuaire

 

 

 


Veille du départ.

Sylvie me conduit à la source.

Je connais le Gerbier, je l’ai déjà escaladé, j’ai vu l’eau sortir de terre comme de nulle part, petit pipi insolent et déjà volontaire, frayer son chemin. Mille kilomètres à parcourir avant la mer. Faut le vouloir, bravo la ténacité. Je m’amuse à bloquer le flux, quelques secondes, le temps que la dernière eau coulée parcoure quelques mètres et j’imagine  un trou à sec dans le fleuve de cette même longueur de quelques mètres, causé par mon enfantillage, cinq cents kilomètres plus en aval. La vie n’est qu’un enfantillage, et c’est pour ça qu’elle est sérieuse.

Je crois qu’il faut prendre soin de l’eau.

 Dans je ne sais plus quel upanishad il est dit « prends soin du dharma qui prend soin de toi » -ou quelque chose d’approchant- et cette phrase me parle depuis des années. Quand on sait d’une part que tout ce qui vit est fait d’eau, nous-mêmes bien sûr, mais tout ce dont nous vivons chaque jour, notre nourriture, notre inspiration, et d’autre part que l’eau sait tout, transporte tout, (pollutions et bénédictions)  garde la mémoire de tout et inonde au long de son cycle à peu près tout sur la terre, on ne peut que prendre vertige et se sentir empli d’un grand respect et d’une grande prudence pour l’eau humble et transparente sans qui nous ne serions rien. (trans-parente ?)

Aussi j’arrive à la source avec mon « offrande », quarante litres d’eau Grander (eau vivifiée, procédé autrichien récemment installé dans ma maison, voir www.grander.com), un plein jerrican tiré le matin même de mon robinet de jardin. L’eau communique avec l’eau, et toute eau avec toute autre. L’information passe, l’eau souillée souille l’eau dans laquelle elle est versée, l’eau pure purifie celle qui la reçoit de la même manière. Même pas peur, je verse (voir photo) dans la balbutiante Loire mes quarante litres, ce qui l’espace d’un instant double son débit, heureusement sans la faire entrer en crue . . .

La vie est faite de ce que nous croyons isn’it ?

Hélas même si le débit a augmenté, pas question de mettre à l’eau ici : une pirogue taillée dans un crayon ne voguerait pas deux mètres.

C’était aussi pour que mon bateau voie la source.

 

 

 

 

 

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(Déversement clandestin d’eau Grander dans la Loire toute débutante) 

 

 

 


Voiture donc, nous suivons le cours du ruisseau-apprenti-rivière jusqu’à l’endroit où j’estimerai qu’il y a assez d’eau pour naviguer, le plus tôt possible.

 

C’est à Lavoûte sur Loire, à une soixantaine de km du Gerbier d’après Mappy, que je me décide.

C’est pas encore le Mississipi, loin de là, mais ça devrait faire l’affaire. Disons qu’il n’y a plus trop de (gros) rochers et qu’entre deux rapides, il y a assez d’eau pour pagayer un moment.

Lavoûte sur Loire s’enorgueillit de présenter au monde ébahi le « premier château de la Loire », une forteresse quasiment les pieds dans l’eau, le château de Lavoûte–Polignac qui oscille entre moyen-âge et Renaissance, qu’on ne pourra visiter bien que se présentant à la porte du dit dans les heures et aux jours ouvrables, et dénués de toute intention belliqueuse je le jure. Réveille-toi Messire châtelain !

 

 

 

 

 

 

 

 

Lavoûte-Polignac NEW

                        Château de Lavoûte-Polignac

 

 


Mise à l’eau donc.

Je ne connais pas ce bateau. J’ai juste effectué deux petites sorties en mer calme, somme toute pas très concluantes.

Mais ça devrait aller. Mon père quand j’avais huit ou neuf ans  possédait un canoë canadien, dont c’était un de mes travaux annuels de poncer la coque, et revernir, tout en bois massifs (je ne sais plus lesquels) et rivets de cuivre rouge, une merveille. Je l’ai pratiqué cinq ou six fois, il doit bien m’en rester quelque chose . . . le corps n’oublie pas, je le sais, ce qu’il a appris.

Le cœur un peu serré quand même. Va savoir de quoi . . . Les adieux avec Sylvie ? Pas vraiment sûr de ne rien avoir oublié dans l’équipement? Partir c’est mourir un peu ?

Je me sens un peu comme un gamin qui saurait à peine lire et qui s’embarquerait pour les vingt-huit tomes de la Comédie Humaine  du père Balzac, sans espoir de retour.  De l’endroit où je mets à l’eau je fais semblant de ne pas vraiment voir, à deux cents mètres en aval à peine, le premier rapide que je vais devoir affronter : ça bouillonne là-bas, et c’est dans quelques minutes tout juste. Bon.  Faut y aller mon gars.

Premier coup de pagaie.  Le courant m’emporte déjà, un petit virage à 360°, histoire de saluer ma compagne et de tirer ma révérence à mon  passé, et vogue la galère !

 

(Changement de milieu. Je me souviens, il y a trois cents millions d’années, quand j’étais poisson. Le moment critique c’est quand il faut lâcher la terre ferme et faire confiance au nouvel élément. Je me souviens, plus récemment, quand je faisais du deltaplane, de l’instant précis où les pieds quittent le sol, deviennent inutiles soudain, et où tous les autres sens, l’ouïe, la vue instantanément exacerbée, le vent sur la peau, prennent les commandes. Changement de milieu, est-on fait, n’est-on pas fait, pour quitter la terre ferme ?)

 

Le début de toute aventure se marque d’un pas.

C’est un moment critique, et je parie que tous ceux qui partent le sentent, d’une façon ou d’une autre. C’est un déclic, le cap se franchit, on devient quelqu’un d’autre, une page se tourne. Et entrer dans la nouvelle peau est une jouissance intense, même si on y a résisté, même si de trouille on a freiné des quatre fers.  Ça tient de la renaissance instantanée, de la thérapie-minute,  d’un rassemblement providentiel de tous les neurones dans un but unique, une sorte de super-concentration qui me ravit d’aise. Et pendant le temps où il se raconte tout ça, le Capitaine, en pagayant, son navire s’est approché du rapide qui gronde maintenant comme un ours dont on chatouille la narine avec une plume de cygne.

J’y suis. Tu l’as voulu tu l’as eu ! Le bruit s’accroit. La vitesse du courant s’accroit. L’attention du capitaine, jusqu’à son pouls, de quoi se mêle-t-il celui-là, s’accroissent. Il n’y a que les rives de la rivière qui se rétrécissent, et se rapprochent comme un goulot d’étranglement, expliquant le reste. En plein milieu du goulot, une vague centrale, transversale, impressionnante, mugit son ressac deux mètres plus loin. Je fais tout ce que je peux pour la prendre bien au centre, pagaye, petit, pagaye !  -  ce sont les seuls instants où il faut vraiment se bouger, très fort et très vite, dans ce métier nouveau.

Le bateau se  précipite dans le goulot, il n’a d’ailleurs aucune autre chance, l’étrave plonge . . . que n’ai-je ajouté un bout –dehors à mon Pen-Duick, avec une belle figure de proue aux seins dardés, ça m’aurait peut-être donné un peu de ce qui me manque ?  Ça passe !   C’est passé ! ! !    Je suis de l’autre coté, du bon, dans des tourbillons certes très mouvementés, conséquence de ce qui précède, qui font tourner mon Frèleskif sur lui-même, comme un bouchon dans un torrent.  Mais c’est passé.


Et c’est à venir !Qu’on se le dise, car mon futur proche sera constitué de ce genre de gâteries pendant plusieurs  jours, et plus d’une fois par jour.

Une fois passé l’obstacle, en le regardant d’en dessous, je me dis que le dénivelé n’est somme tout pas bien important et que, même si ça bouge un peu fort, ça n’a duré que fort peu, et ne m’a pas du tout mis en péril.

Ce n’était qu’une mise en bouche.

 

 

 

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                                                                  La Loire à Retournac

 

 

Le snob de la vallée

Pour tout dire, il a un petit air snob.

Habit élégant.

L’air de le savoir.

Posture inimitable.

Regard en dessous, enfin pas vraiment, en fait il fait comme si je n’étais pas là.

Il feint de ne pas tenir compte de mon approche, comme s’il ne me percevait pas. Il en est pourtant parfaitement conscient…

Je suis tout ouïe, tout regard, tout silence : il s’en fout.

Au dernier moment il décolle sans m’avoir jeté un regard, l’aile décontractée  (comment peut-on décoller l’aile décontractée ?)  la patte traînante,  le bec méprisant,   pour aller se poser sur le rocher suivant, trois cent mètres en aval, après un vol-chorégraphie stupéfiant. « Tu as vu comme je vole ? et toi tu sais faire quoi ? »   La tête déjetée en arrière, pas vraiment concerné par ce qui  lui arrive.

Je me sens presque de trop.

Dans l’Issole, quand j’en vois deux par année je m’estime heureux. Ici, des dizaines en un seul coup d’œil.

Je donne un coup de pagaie crâneur,  -  « et moi, tu as vu comme je pagaie ? »

Deux bipèdes, l’un rame dans le ciel, l’autre dans l’eau, héron, homme.

 

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Je vais où ?

Je n’emporte ni boussole ni carte,  ni GPS ni calendrier.

Même ainsi je suis à peu près sûr d’arriver :  la vie c’est tout droit, et ma route la seule sur laquelle se tromper d’itinéraire  est impossible. Je suis sûr d’arriver un jour ou l’autre. L’autre de préférence.

 

Amont, aval.

Rive droite, rive gauche.

Nord, sud.

Le monde est simple finalement.  Pas de rétroviseur ici, si je veux regarder derrière je donne trois coups de pagaie, et me voilà contemplant mon passé : ça défile vite. Une goutte d’eau met 6 jours si tout va bien  pour de la source atteindre l’océan. J’en mettrai  4 fois et demi plus.

Amont, aval, le centre du monde c’est moi, et de l’instant. Sur l’eau tout est simple, la vie se réduit à quelques perceptions primaires.

 Primordiales.

 

 

 

 

 

 

 

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                                         Dans les rapides, ou par manque de fond, il est

      souvent nécessaire de laisser  Frèleskif  filer sur

     son amarre pour le récupérer un peu plus en aval.

 

 

 

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        Mon Pen-Duick aussi à l’aise dans les roseaux que dans les cascades !

   

 

 

 

 

 

Première frayeur

C’était dans le tout début, dans des gorges assez hautes et resserrées,  un rapide comme j’en avais déjà passé plusieurs, ça bouscule, ça bouillonne, bon  mais ça passe, mais en fait là il y a un virage, les rives se rétrécissent encore davantage tout en tournant serré vers la droite.

C’est-à-dire : pas de visibilité sur ce qui m’attend, faut improviser, vite et bien, dans un mugissement d’enfer parce que là, juste là, il y a une grosse cascade dans des blocs énormes, le débit de la rivière est obligé de se concentrer sur un mètre, un seul mètre de large, donc de passer dix fois plus vite et dix fois plus fort.

Et je n’ai rien vu venir parce que je suis dans un virage, et tout à coup dans ce barrissement d’apocalypse je suis éjecté du bateau  (heu non, y’a pas de ceintures de sécurité, où alors on ne m’a rien dit)   qui vient de se coincer entre deux blocs de granit, l’étrave en premier l’arrière un dixième de seconde plus tard, le bateau est plein d’eau instantanément car à cet instant toute la Loire lui coule en plein dans le milieu.

Tous les bagages sont attachés heureusement, le gros sac, la tente, le chariot, la réserve d’eau, le bidon étanche.

La pagaie est attachée au bateau.

Le bateau lui-même est attaché au Capitaine, à la boucle du gilet de sauvetage du dit, je ne sais pas comment font les autres mais ça m’a paru une précaution utile…

D’une pichenette, comprenez d’un effort surhumain de tous ses muscles bandés,  Indiana Jones s’arc-boute sous son Pen Duick et parvient  à en libérer l’étrave, aussitôt le bateau file dans les remous jusqu’à tendre l’amarre qui le retient à ma taille.

Je me félicite (personne ne le fera sinon !) d’avoir choisi un bateau auto-videur : avec un canoë classique j’en avais pour une demi-heure à écoper, si tant est que j’aie alors pensé à emporter une écope !

Wwwwouaaaahou !

(je suis passé tout près, mais je ne sais pas de quoi… T’as voulu les quitter tes pantoufles, alors ne te plains pas, bénis la Loire et Ligéria sa déesse attitrée, et le bonheur de vivre !)

 

Bivouac du soir : en rive droite un peu après Chamallières, terrain plat devant un camping fermé.  J’ai mal partout, vive la vie !

 

 

 

 

 

 

 

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Bivouac du soir à Chamallières

 

 

 

Troisième jour

Trois barrages passés aujourd’hui.

C’est à mon goût un peu beaucoup souvent ! Chaque fois :

Aborder.

Décharger le bateau.

Tirer le bateau à sec.

Mettre sur roulettes.

Recharger les bagages.

Rouler jusqu’à l’endroit où je pourrai remettre à l’eau.

Redécharger.

Oter les roulettes.

Remettre à l’eau.

Recharger les bagages.                Ouf, youpi !

 

 

 

 

 

 

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Le barrage qui fait suite à la retenue de Grangent

 

 

 

 

 


 

 

 

Dimanche 8 mai

Je passe l’après-midi à franchir une portion de Loire où le courant est sans cesse barré par le travers, d’une rive à l’autre et sans passage aucun, de larges amoncellements de pierres infranchissables, qui me forcent à descendre pied à gué, et tirer sur l’amarre de Frèleskif comme Stevenson tirait, quelques collines plus loin et quelques décennies plus tôt,  sur la longe de son ânesse rétive.  C’est râlant, il n’y aurait que vingt ou trente centimètres  d’eau en plus, ça passerait tout seul et je ne me rendrais compte de rien . . . Ça finit par passer. Et trois minutes plus bas, ça recommence. C’est exténuant ce métier !

 

 


 

Septième jour

Voilà, ça y est. Il m’a fallu quelques jours, m’installer en quelque sorte, prendre l’humeur, la vibration, l’air d’ici. M’habituer à reposer le jour entier sur quelque chose qui ne cesse de bouger,  à pagayer comme je respire, à partager avec le silence ce que j’ai de meilleur.

Il faudrait toujours voyager lentement : que l’organisme puisse s’adapter petit à petit au changement, en l’occurrence aux modifications infimes, ou moins infimes, qui font que ma Provence ne ressemble pas à la vallée de la Loire. Tout changement de milieu brutal est une violence faite à soi, je crois à l’infinie adaptabilité de l’animal humain pour peu qu’on respecte sa biologie, son instinct et le lien inhérent et si ténu qu’il a tressé depuis des millions d’années, avec son milieu.

Je voyage dans les acacias en fleurs. Rive droite, rive gauche, des géants de fleurs blanches si parfumées, vingt ou trente mètres de haut, toute la vallée embaume, c’est un véritable ravissement olfactif et de tout l’être. J’ai dû apprécier les odeurs avant même d’ouvrir les yeux. Certaines sont magiques et peuvent rester gravées des années avant que je les retrouve, je les reconnais aussitôt. Si la floraison de l’acacia s’étale sur un mois, chaque fleur, grappe de fleurs plutôt, a une durée de vie beaucoup plus courte. Les amateurs de beignets d’acacia le savent : il faut préparer la pâte avant de partir en cueillette,  et faire les beignets aussitôt de retour : rien de plus précieux, mais rien de plus volatile que le parfum de la fleur d’acacia.

La rivière  est jonchée de fleurs blanches tombées. Par endroits elles couvrent presqu’entièrement la surface, et je plonge ma pagaye dans un fleuve d’acacias.

 

 

 

 

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Acacia (Robinier) 

 

 

 


D’un fou l’autre…

Bernard Ollivier a parcouru la route de la soie, de l’Anatolie jusqu’à la Chine, à pied, sur quatre années consécutives, sac au dos, traversant déserts, guérillas et amitiés humaines. Sur le coup des 70 ans il lui a pris aussi de descendre la Loire en canoë, ce que je mijotais depuis un moment. J’ai trouvé son livre  Aventures en Loire  par le plus grand des hasards (?)  à la librairie de Banon, non loin de Manosque, établissement qu’il faut absolument recommander à tous les amateurs de livres (trois étages de bouquins, sur deux maisons de village, davantage de choix qu’à la fnac et, en plus, des libraires !).

De ces fous qui font avancer le monde. L’homme en tout cas.

De son livre je relisais chaque soir la partie correspondant à la portion de fleuve que j’allais descendre le lendemain, il y prévient de certains dangers comme de certains bons restos.

Las, toute aventure est unique. Quel bonheur !

Sa Loire ne fut pas la mienne. Ses plaisirs, ses écueils, ses rencontres, ses chances pas les miens. On te l’avait dit, coco : on ne navigue pas deux fois dans le même fleuve. Merci Confucius, et merci Bernard Ollivier.

(Lire : Bernard Ollivier, Longue marche, éd. Phébus

                                     Aventure en Loire, éd Phébus) 

 

 

 

 

 


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  Sous l'eau, la plage

 

 

 


Un peu de retenue

Il en est deux principales, toutes deux dans la partie haute du cours, toutes deux construites afin de constituer une réserve d’eau. La première, la retenue de Grangent, actionne une usine hydro-électrique. L’autre se nomme Villerest, l’une à la suite de l’autre doivent assurer aux centrales nucléaires en aval un débit d’eau suffisant pour alimenter les turbines et refroidir les réacteurs.

Que l’eau vienne à manquer en Haute-Loire, les réacteurs feront QUOI ? On soufflera dessus de toutes nos forces, tiens !

Dans les retenues, fini le  courant (déjà que cette année il n’y en a pas beaucoup…) il faut donc pagayer ferme pour se voir avancer, pendant vingt ou trente kilomètres. Pour peu que le vent de face se mette de la partie, le kayak c’est la galère !

Dans les retenues, beaucoup moins d’oiseaux. Moins de poissons aussi peut-être, en tout cas plus du tout en surface. Moins de mouvement  =  moins de vie ?

Ces longs passages sont un peu monotones, hormis l’heureuse surprise, sur la retenue de Villerest, de ce minuscule croquignolet château de la Roche, presqu’une maquette de château, à mi-chemin entre rêve et nostalgie, qui se trouvait il y a quelques décennies encore dominer les gorges de la Loire de quarante mètres, et se mouille, depuis la construction du barrage,  d’eau sur presque tout son pourtour.

Trop mignon le castelet, je plante ma tente à ses pieds, d’ailleurs il tombe bien : c’est le soir, j’ai ramé fort longtemps aujourd’hui, et je suis mort de fatigue, c’est trop bon !

 

 

 

 


 

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Le château de la Roche,   

so romantic !

 

 

 

 

 

Sur la même retenue, un peu en aval, un petit port, rive gauche, Bully, un vrai petit port, voiliers et moteurs, avec une digue, des appontements. Trop content mon Pen-Duick se laisse amarrer sur un quai flottant, et trop content le Capitaine aperçoit non loin un resto, et justement c’est midi, et justement c’est le resto ou Bernard Ollivier a remarqué les formes de la soubrette et de son irrésistible pantalon moulant et, trop content, l’appétit aiguisé, vaincu par de telles coïncidences (on se baigne parfois deux fois dans le même fleuve, merci Confucius et B.O.)    je gravis le raidillon jusqu’au dit restaurant. Plat du jour excellent pour un prix modique mais, damned ! la soubrette n’est plus là c’était une remplaçante. Il parait que depuis la parution du livre de B.O.je ne suis pas le premier à demander de ses nouvelles…

 

 

 

 

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Le petit port de Bully.   En jaune, mon Pen-Duick

 

 

 

 

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                                    Un peu plus loin...

 

 

 

 

 

 

Morts de peur

Les trois canetons colverts, éclos depuis fort peu, (je les aurais tenu les trois dans la même paume).  En accostant dans les herbes hautes où ils avaient probablement leur nid,  je leur ai filé la trouille de leur vie, la première peut-être, la dernière assurément : ils ont détalé, à fond de pattes déjà palmées et de moignons d’ailes pas encore plumées, vers l’eau sécurisante.  Mais en pédalant tellement vite (pour suivre leur mère qui avait fait pareil deux secondes plus tôt) qu’ils se sont emberlificotés les mouvements, et maladroitement plongé dans l’eau, et point remontés  ne sont. J’ai guetté longtemps, sur toute la surface.   De profundis les canetons !

On a vite fait de mourir sur la Loire, les on-dit   sont donc fondés, et pour toutes sortes de raisons.

 

 

 

 

 

La cadence

Il me faudra quelques jours pour l’acquérir.

Acquérir est d’ailleurs un terme un peu m’as-tu vu,  disons   adopter,  heu . . . provisoirement ?

Le nomade que je suis devenu n’acquiert rien, il se caméléonise à mesure des besoins, empruntant, copiant, imitant, essayant d’apprendre. Le voyage humain est court. Repart-on moins nu à la sortie que nous n’étions à l’entrée ?

La cadence, donc.

Au début je pédalais ferme.

Hormis les moments, dans les rapides, où il faut agir vite et fort, l’effort pour être continu se doit d’être mesuré car qui veut voyager loin . . . n’est-ce pas mon bon La Fontaine ? Mais voilà, c’est comme pour la marche au long cours,  l’intelligence corporelle a besoin  d’un certain temps pour capter l’exacte cadence, c’est-à-dire déduire le rythme personnel auquel je ne vais pas me fatiguer. Car je n’ai nullement l’intention de me fatiguer. Enfin, pas trop, disons un minimum sympa, assurant une hygiène muscu optimale, un bon sommeil réparateur . . . et une image de soi comme je l’aime, composite, équilibrée et tout, parfaite quoi !

La juste cadence (pléonasme) est un confort parfait dans l’effort.

On peut se reposer dessus, lui faire confiance, et une fois trouvée, ça roule tout seul.

D’autant qu’avec l’expérience, l’effort s’économise de lui-même.

Pour une navigation aisée, il faut apprendre à lire.

Lire  la surface de l’eau, comme un tableau de bord. Tout yeux, tout ouïe.

La surface de l’élément dit tout, ou presque, de ce qui est important. Un écueil sous la surface se signale par un léger remous visible à dix ou vingt mètres de distance,  un courant ralenti, ou accéléré, se remarque au reflet modifié,  à la taille des vaguelettes de surface,  une risée ou une rafale de vent s’anticipe au friselis provoqué.  Un barrage, une cascade ou un rapide s’entendent aisément, et la plupart du temps assez longtemps d’avance pour s’y préparer.

Et si tu n’y es pas préparé, vive la surprise !  C’est le métier qui rentre mon gars . . .

 

 

 

 

 

 

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Aquaculture?  Oui mais pas  vraiment exprès: excès de nitrates dans l'eau, merci les agricos!

 

 

 

 

 

Sous le signe du slalom 

C’est assurément le premier signe à prendre en compte dans le zodiaque ligérien.

Heureusement, un coup de pagaie à droite m’envoie à gauche, et inversement :  ça aide.

Au début, slalom entre les cailloux, pierres, rochers, surtout les premiers jours : j’aurais peut-être dû mettre à l’eau un peu plus en aval, j’aurais évité ça. Mais je n’aurais pas tout vu de ce que j’ai vu ! exigence quand tu nous tiens …

Ensuite c’est slalom entre les bancs de sable. Les premiers apparaissent après quelques jours de navigation, ça vous a déjà un petit air de Loire nonchalante, celle des châteaux, celle qui fait onde vers l’ouest. Pour l’instant j’en suis encore à celle qui fait route au nord, celle   des saumons qui remonteraient bien le courant  s’il n’y avait tant de barrages.

Ensuite slalom entre les centrales nucléaires. Une à droite, une à gauche, en alternance. Ils l’ont fait exprès ? Une centrale nucléaire est une grosse cocotte-minute. On y fait bouillir de l’eau, la vapeur produite actionne des turbines qui produisent de l’électricité. La vapeur est une technologie du dix-neuvième siècle, un peu désuète, seul le carburant est nouveau, je veux dire  était   nouveau il y a cinquante ans. Il sera épuisé dans quelques décennies.  L’analogie avec la cocotte-minute est au demeurant imparfaite, puisque cette dernière  prévient tout le monde avant d’exploser. Comme je n’aime pas trop, je passe le plus loin possible,  près de l’autre rive, et sans m’attarder, des fois qu’il y ait des fuites juste maintenant.

Avant les centrales, j’oubliais : slalom indispensable entre les bancs de magnifiques fleurs blanches aquatiques, qui éclosent tout au bout d’un pétiole pouvant atteindre dix, vingt ou trente mètres, peut-être beaucoup plus, et qui forment de véritables amas, tapis, pièges juste sous la surface, ce sont des renoncules :

 

 

 

 

 

 

 

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Le bateau peut s’immobiliser presqu’entièrement  dans  ces fleurettes.  Amusant mais peu efficace.

 

 


Ajoutons dans la fin du parcours le slalom obligé entre les épis. Les épis sont des amoncellements de pierres en forme de digues qui partent de la rive vers le milieu du fleuves, plus ou moins perpendiculairement, dans le but d’éviter l’érosion du sable des rives vers le milieu, et assurer un passage plus aisé, mais pas toujours garanti, en basses-eaux. Les plus dangereux de ces épis sont ceux qui se trouvent juste sous la surface et que je ne vois qu’au dernier moment : quand la coque a tapé !

Un dernier pour le souvenir ? temporel celui-ci : slalom entre les marées pour parvenir à descendre l’estuaire  en se faisant aider par, au lieu de lutter contre la marée (ce qui s’avère d’ailleurs impossible, j’ai essayé.)

Espèce de louvoyeur, va ! je sens que je vais être bon, au ski, cet hiver . . .


  Lire la suite sur:    Fugue  (2)  en Loire mineure     à tout de suite!

 

 

 

 

 

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commentaires

B
Heureuse de ce parcours en Loire, au plaisir de reparler de Loire, de littérature et de n'importe quoi !
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