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  • : Le blog de jeanpierrevaissaire
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  • jeanpierrevaissaire
  • Cambrioleur à 12ans, maçon à 17, marchand de crêpes, éleveur de volailles, méditant dans les Alpes, Artisan-menuisier, Rebirth-thérapeute, sa vie libre est une succession de fugues. Il échappe ainsi à l'armée, au mariage, à la télévision
  • Cambrioleur à 12ans, maçon à 17, marchand de crêpes, éleveur de volailles, méditant dans les Alpes, Artisan-menuisier, Rebirth-thérapeute, sa vie libre est une succession de fugues. Il échappe ainsi à l'armée, au mariage, à la télévision

Traduction en anglais http://fp.reverso.net/jeanpierrevaissaire-over-blog/5174/en/index.html

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10 août 2011 3 10 /08 /août /2011 15:36

Victor le demeuré

 


                             un conte de Jean-Pierre Vaissaire

 

        

 

 

         Quand il est arrivé au village, il était  au printemps de sa vie.

Il était vraiment dérangé dans sa tête.

« Dérangé » n’est peut-être pas le mot exact. En fait il était plutôt tranquille.

Voilà : il était tranquille dans sa tête. Mais dérangé un peu.

        

         Ça n’a pas été long : Victor, c’est son nom, est vite devenu copain avec tout le monde.

         Victor était gentil, il donnait la main à tous ceux qui avaient besoin d’aide, faisait les courses pour les vieux, courait à droite, courait à gauche.

         Victor, ainsi, avait  toujours de quoi manger dans son assiette, même si parfois ses façons de faire étaient… comment dire ?... peu orthodoxes.

         Une chose gênait Victor le demeuré : c’est quand il entendait quelqu’un dire du mal de quelqu’un d’autre.

         Victor, en quelque sorte,  avait du mal avec le mal : parce que lui, quand il était aux champs avec Mathieu, ou au fournil avec Jules le boulanger, ou à la forge avec Etienne le forgeron, il voyait bien qu’il n’y avait aucun mal, ni chez l’un ni chez l’autre, et que les cœurs simples étaient purs. Tout au plus quelques contrariétés, justifiées ou non.

         Dans sa naïveté il aurait même eu tendance à trouver tout le monde égal, et également gentil. Il ne souffrait pas de son propre malheur, il souffrait de la malveillance de quelques uns envers autrui.

          Ainsi ressentait Victor dans sa simplicité.

          Victor le dérangé trouvait tous les visages lumineux.

 Non non, il ne croyait pas en Dieu, il ne savait même pas qui Dieu pouvait être.

Il trouvait, naturellement, les visages lumineux, à toute heure du jour,  sauf… sauf à vrai dire quand celui ou celle qu’il regardait se laissait aller à dire – ou penser – quelque mal d’autrui.

Et comme personne n’est parfait, il y avait bien sûr toujours quelque chose à dire sur quelqu’un : un jour le vin était trop acide, le lendemain le pain trop croquant, le jour d’après le forgeron, de mauvaise humeur, en voulait à tous: il  lui semblait alors que la bonté de son interlocuteur  se métamorphosait en perversité, les yeux en flèches acérées, et les dents en crocs prêts à mordre.

C’est comme si soudain le ciel s’était assombri et que l’enfer avait supplanté la bonhomie des jours.

         L’un se retournait contre l’autre, le second contre un troisième, et le village entier devenait un orchestre mal accordé.

         Comme la vie aurait été douce si chacun s’était montré capable d’oublier ses petits ressentiments, et de ne voir que le beau côté des gens !

        

         Victor le dérangé décida un jour de devenir dérangeant.

         Il ourdit, dans le secret de sa solitude,  un plan discret mais qui saurait être efficace.

         Il avait compris, du fond de sa simplicité, que tous ces râleurs avaient immensément besoin les uns des autres, sans bien toujours s’en rendre compte, et ne sauraient vivre sans l’existence de leurs voisins.

         Il les invita donc à un festin, au bord de la rivière, sous le gros chêne, un jour d’été.

         Victor n’ayant pas de métier établi n’avait pas d’argent. Il alla voir chacun, l’un après l’autre, et leur parla ainsi :

         - Viens dimanche au gros chêne. Je t’invite. Apporte simplement avec toi un panier de victuailles, ce que tu as de meilleur. Mais tu n’y toucheras pas. Sois tranquille : c’est moi qui t’invite."

         La proposition était incongrue, mais semblait sans danger.

         Chacun vint.

         Et le dimanche suivant sous le gros chêne, on retrouva Mathieu le cultivateur, Etienne le forgeron, Jules le boulanger, Firmin l’instituteur, Amédée le curé, Léon le charron, Léopold le tisserand, Wolfgang le luthier, Irénée le potier, Joseph le sourcier ; tout un chacun venu avec femme et enfants. Et avec un bon panier chargé des denrées les mieux choisies.

         A tous il demanda de fermer les yeux et de se laisser guider.

         Il les prit par la main et alla les asseoir, un par un, sans malice.

         Puis il disposa devant chaque convive un panier rempli, en ayant soin de ne placer devant personne le panier qu’il avait apporté.

         Puis il leur dit d’ouvrir les yeux.

         - C’est moi qui vous invite, je vous l’ai dit.

       Mangez à votre faim, buvez à votre soif.

      De ce moment oubliez qui vous êtes et ce que furent vos jours.

      Que la fête commence !"


         La femme de Joseph mangea ce qu’avait apporté Amédée, sans en savoir la provenance. Bastien mordit -sans le savoir- dans le saucisson d’Henri, Alphonse se régala –ingénument- des poissons péchés par Alexandre, et les enfants de tous les gâteaux sans distinction !

         On but, largement. Peut-être un peu trop.

         Alors chacun comprit dans le regard de chaque autre qu’il était peut-être celui à qui il devait un si bon repas et une si bonne journée.

         A ne pas savoir d’où vous tombent les bienfaits, on peut supposer qu’ils viennent de tous…

         Du coup, on se regarda avec un début de reconnaissance, qui, peut-être bien, est un des visages de l’amour simple.

         Et le soir venu, quand le soleil disparut sur l’horizon comme un œil bienveillant derrière sa paupière, il sembla à tous qu’une larme de douceur s’écoulait dans l’infini du temps.

 

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