Je n'ai jamais autant ressenti, dans cette barbarie audible du monde, la nécessité de veiller, de me sentir responsable de tout ce qui est humain, de la tranquille assurance des herbes. C'est envers et contre tout, malgré le désastre organisé du "vieux monde" que se poursuit le chant des herbes et des terres meubles, des arbres et des saisons. La culture urbaine a voulu tout effacer, ne laisser aucune trace de l'activité sourde et tenace des germinations. Elle persiste pourtant, dans le mouvement régulier des mois et des semaines qui s'égrènent, dans le retour des brumes d'automne, dans le surgissement des premières gelées, dans l'affalement blanc de la neige, dans la virulence des bourgeons. C'est dans cette confiance que l'on se refait, dans cette fidélité.
Alain Vircondelet - Éloge des herbes quotidiennes - Editions du Rocher